Voluptés sonores

Posted on 28/01/2015 par

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Texte un peu long, pour lecteurs avertis…

Le son est une composante majeure de notre environnement. Si l’écologie est aujourd’hui dans toutes les bouches, la tendance à investir massivement dans l’optimisation énergétique et thermique oublie trop souvent que l’écologie est la science de l’habiter au sens large. L’origine de « éco » vient du grec oikos signifiant la maison comme habitat. L’environnement est donc au sens premier ce qui nous environne et nous entoure.

Un changement de paradigme est en cours. Il vise à réintroduire l’homme occidental comme partie intégrante de son milieu. Pour concevoir et aménager un milieu de vie durable, nous devons réintégrer les dimensions sonores, lumineuses, thermiques et olfactives, moins comme des données techniques que comme les matériaux sensibles des espaces que nous habitons.

La dimension sonore est trop souvent traitée en termes acoustiques, de nuisance ou de performance d’isolement. Si le son est une expérience sensuelle et sensible partagée par tous, l’acoustique est soit un domaine technique, un peu ardu, donc investi et réservé aux seuls ingénieurs, soit une esthétique choisie par les musiciens. Nous considérons l’acoustique comme une dimension partagée par tous dans notre environnement construit. À ce titre, nous pensons qu’il faut ouvrir ce champ à d’autres dimensions et le soumettre à un débat.

Toutefois depuis des décennies, les nuisances sonores sont dans le peloton de tête des doléances des Français. D’après une récente étude Ifop, plus des trois quart de la population se déclare gênée par le bruit.[1] Les acteurs de notre environnement ne peuvent continuer à ignorer ce phénomène largement répandu dans le monde urbain.

Le son est une donnée immatérielle bien difficile à « mettre en boite », il s’épanouit en tous lieux et à toute heure. Il procure des sensations indispensables à notre bien-être, mais peut vite devenir une source de déplaisir et de rejet. Des nuisances acoustiques aux voluptés sonores[2], de la place du son dans notre environnement quotidien aux pratiques constructives innovantes, voici un petit tour d’horizon, écrit à six mains par un architecte, une chercheuse en design et un acousticien. Nous vous proposons d’abord une série de réflexions qui situent le sujet de l’acoustique dans l’architecture, puis des propositions appliquées concernant la manipulation de cette dimension acoustique.

Matière invisible

Le son est-il aussi invisible que l’air ? De manière étrange, le vocabulaire qui décrit les phénomènes acoustiques emprunte à d’autres champs de sensations leur imaginaire souvent visuel : « bruit blanc », « bruit rose », « paysage sonore », « émergences », « clarté ». Ces termes n’ont bien souvent de visuel que le nom, ils servent à nommer des phénomènes physiques normalisés.

Trop souvent concentrés sur ce qui se voit, les architectes oublient l’invisible qui constitue la matière dans laquelle nous nous mouvons et évoluons. Or le son, et la musique en particulier, sont une des expériences sensuelles les plus proches de l’émotion. Dans une église par exemple, l’acoustique ne fait-elle pas intégralement partie de son architecture ? Les chants religieux sont conçus pour prendre toute leur ampleur dans ces espaces. L’émotion sonore s’y associe à l’expérience spirituelle, le phénomène sonore devenant un outil médiatique pour s’imposer aux foules.

Le son est invisible alors qu’il remplit l’espace. C’est une vibration mécanique propagée par la matière aérienne, fluide ou solide. Son et matière sont donc indissociables. On absorbe les variations dans un espace comme on amortit les secousses dans une voiture. L’énergie acoustique est consommée, réfléchie, diffusée par la matière. Pour moduler la propagation du son, on peut par exemple associer matière lourde et matière molle, rugueuse ou lisse, dure ou poreuse.

Plus concrètement, l’intrication entre matière et acoustique se révèle, par exemple, lors de la rénovation de salles de concerts. Pour les plus célèbres, la spécificité de leur qualité acoustique fait partie intégrante du patrimoine à conserver : un patrimoine invisible à l’œil, mais bien tangible à l’oreille du musicien, de l’acteur, et du spectateur. L’acoustique d’une salle tient dans l’assemblage et dans l’interaction de tous ses constituants. Changer sa forme, un revêtement ou une disposition, et c’est tout l’équilibre délicat et complexe de l’ensemble qui en est modifié. Pour rénover les plafonds moulurés et certaines parois de la salle du Concertgebouw d’Amsterdam, sans modifier son acoustique unanimement reconnue comme l’une des meilleures salles symphoniques du monde, il a fallu réaliser et tester plusieurs prototypes afin de trouver un plâtre et une mise en peinture qui réagissent aux sons de la même manière que ceux d’origine, datant de la fin du XIXème siècle. Lorsque la salle mythique de l’Olympia a été « déplacée », le programme acoustique tenait essentiellement dans la conservation des caractéristiques existantes, fussent-elles imparfaites.

La préservation de cette qualité invisible se pose à plus grande échelle encore. Dans un monde entièrement touché par toutes les activités humaines, l’environnement sonore constituerait un futur patrimoine de l’humanité. Dès 2002, l’Europe a manifesté par une directive[3] sa volonté de se doter d’outils d’évaluation de notre environnement sonore. Il s’agit de se concentrer essentiellement sur sa dimension de pollution sonore (cartes de bruits) et d’introduire, en contrepoint, le recensement et la préservation de « zones calmes ». Une nouvelle notion patrimoniale du bruit se voit ainsi réglementairement établie. Les collectivités territoriales continuent de mener ce travail d’inventaire à visée préventive. Il existe désormais des guides[4] à l’échelle française et européenne qui aident à l’appréciation de cette notion de « zones calmes. » Ces zones sont définies comme des lieux de récréation, de protection de la nature et de préservation de la santé. Leur taille peut varier de 100 à 100.000 m2 en ville et de 1 à 100 km2 en zone rurale. Leur niveau sonore ne doit pas dépasser 45 dB(A) en ville et 35 dB(A) à la campagne.[5] Le parvis de la Défense pourrait à ce titre par exemple prétendre à faire partie de ces zones préservées.

Ecosystème

Chaque écosystème possède sa propre identité sonore.

Un son naturel n’existe que si l’émetteur et l’auditeur sont dans le même environnement. L’ambiance sonore modulée par l’architecture participe intégralement de la perception d’un espace. Le son et la manière de le percevoir dépendent de l’ensemble des conditions du milieu ; la première étant évidemment l’état d’esprit, la capacité d’écoute et la disponibilité de l’auditeur. L’acoustique est un paramètre essentiel dans la définition de l’atmosphère d’un lieu. Architecture et acoustique sont indissociables, on pourrait dire que l’acoustique prolonge jusque dans le vide les espaces architecturaux.

Le volume sonore définit donc bien les usages d’un espace. On s’expose là où le son est plus intense et l’on se retire là où il est plus faible. Les environnements sonores intenses engendrent des rapports sociaux spécifiques. Une boîte de nuit par exemple induit un comportement particulier. Elle génère un écosystème qui fonctionne de concert : tout est fait pour que les sensations prennent le dessus sur la raison. Le volume sonore limite la communication. La musique, par l’adjonction de basses et très basses fréquences, ne parle plus aux oreilles mais devient une vibration palpable qui s’adresse aux mouvements des corps. Lorsque l’oreille est soumise à des sollicitations extrêmes, des acouphènes peuvent survenir, ce qui conduit parfois les organisateurs de concerts à offrir des bouchons d’oreilles pour limiter l’exposition trop intense des auditeurs.

L’oreille est un capteur multi-sensoriel : elle permet de conserver son équilibre, de se situer dans l’espace et de donner du sens aux sons entendus. Plus couramment, l’oreille nous permet de percevoir un lieu, d’y entrer et de le parcourir. Les espaces dans lesquels nous évoluons sont autant sonores que visuels. Lorsque l’on se déplace, l’oreille reconstitue autour de nous un espace plus large que celui de la vue. La dimension sonore enrichit la perception et la connaissance visuelle d’un lieu. Ce phénomène est à intégrer par les concepteurs : la personne mal voyante comme celle mal entendante font partie des futurs usagers des espaces que nous concevons.

Les sources sonores sont des indices qui renseignent sur nos conditions de vie contemporaine, les modes de vie et les technologies. Elles sont les traces des êtres et des objets qui peuplent notre environnement. De nouvelles sonorités et fréquences apparaissent autour de nous et enrichissent notre écosystème sonore. Les sources de musique amplifiée génèrent des très basses fréquences. Ces fréquences procurent des sensations fortes aux auditeurs, mais elles se propagent à travers les murs même épais, devenant une gène pour le voisinage. Dans la cas de la boite de nuit et des basses fréquences, on voit bien comment un milieu sonore choisi par certains s’étend et empiète sur le territoire des autres, au risque d’engendrer de réels problèmes de cohabitation, de mixité et de vivre ensemble.

Nuisances et plaisirs

Le son peut donc être source de plaisir comme le ronronnement d’un chat, ou de nuisance comme des ronflements en pleine nuit. Contrairement aux yeux, les oreilles n’ont pas de paupières, le cerveau reste aux aguets même lorsque nous dormons. Les sons imprègnent à notre insu notre esprit et interfèrent directement avec notre état physiologique de bien-être ou de mal-être (humeur, fatigue, détente, plaisir…)

D’après l’étude IFOP citée plus haut : 45% des sondés se déclarent aujourd’hui gênés par le bruit dans leur domicile et 82% sont préoccupés par les nuisances sonores. Cette gêne peut aller jusqu’à créer des problèmes de santé conséquents : sommeil perturbé ou non récupérateur, stress, angoisses, etc.. On ne parle plus alors d’environnement acoustique mais bien de pollution sonore. Les machines en sont les premiers responsables identifiés : le transport d’abord avec les voitures qui freinent ou accélèrent à un carrefour, les camions-poubelles qui passent tôt le matin dans des rues réverbérantes ; l’industrie ensuite avec les vibrations continues des ventilateurs, compresseurs ou les sonneries des téléphones portable, nos petits assistants du quotidien.

Sans surprise, les deux sources majeures de gêne relevées par l’étude au domicile des français sont les bruits de circulation et ceux générés par les voisins. On peut ici distinguer entre bruit et son : le bruit est un son jugé indésirable. Or la dimension psychologique est déterminante dans la perception d’un son plutôt que d’un bruit. Le ressac des vagues ne sera pas perçu du tout comme aussi gênant qu’un flux de voitures. Pourtant l’intensité sonore sur une plage de galets peut atteindre 75 dB(A), c’est à dire autant que bien des niveaux sonores entendus sur les trottoirs des artères passantes de nos villes…

« Le bruit c’est les autres » pourrait-on dire (surtout dans un immeuble de logements !) Mais le bruit c’est aussi les exceptions dans nos habitudes sonores ou dans l’ambiance du moment. Nous sommes plus sensibles aux variations sonores, et ce d’autant plus qu’elles sont soudaines, fréquentes et/ou intenses. Ces émergences brutales, comme le démarrage en trombe d’une moto ou des cris stridents, sont celles qui nous dérangent le plus. Une augmentation sonore de 10 dB(A) telle que le démarrage d’un véhicule est ainsi susceptible de réveiller une grande majorité de riverains. Un bruit produit de manière continu peut lui devenir partie intégrante de notre environnement. Il devient un bruit de fond et ne plus retient plus l’attention de notre cerveau. On s’y habitue jusqu’à complètement l’oublier. Si bien qu’il peut être paradoxalement plus dérangeant d’habiter près d’un feu tricolore, où les démarrages brusques se succèdent, que le long du boulevard périphérique et de son flot ronronnant de voitures.

A contrario, des environnements hermétiquement isolés et coupés des bruits extérieurs auront tendance à produire des habitants de plus en plus acoustiquement intolérants. Selon l’état d’esprit et de fatigue de l’occupant, le moindre bruit interne à l’immeuble pourra être identifié comme une nuisance.

Politique acoustique

L’environnement sonore est un critère indéniable de qualité de vie, et le bruit est devenu une question de santé publique. À ce titre, le confort acoustique est un sujet politique : débattu en termes concrets par la population, et en termes réglementaires au sein d’une communauté d’experts.

Paris connaît depuis plusieurs années des conflits liés aux nuisances sonores générées par les activités nocturnes. Ce phénomène est dû à la diminution progressive du bruit urbain et au niveau sonore automobile. Il est renforcé par l’interdiction de fumer instaurée dans les lieux clos accueillant du public. Cette loi anti-tabac, louable à son origine, entraine un ballet incessant d’entrées et de sorties du public dans la rue, rendant très difficile la maîtrise du tapage nocturne dans l’espace urbain. Si bien que les bruits des noctambules sont devenus des gênes notables. Il reste cependant impossible de réserver des zones spécifiques pour installer ces activités bruyantes dans la ville, au risque de détruire une de ses qualités primordiale : sa mixité.

En octobre dernier, les 7ème Assises Nationales de la Qualité de l’Environnement Sonore se sont tenues à Lyon. Elles regroupaient un panels de professionnels dont la diversité témoigne de la dimension polymorphe du sujet : acousticiens, élus, médecins, ergonomes, avocats, associations, prescripteurs, entrepreneurs, etc. Ces assises sont l’occasion de faire l’état des lieux tous les trois ans de l’état de l’environnement sonore.[6] Outre les enquêtes et statistiques qui confirment l’importance du bruit comme marqueur de notre qualité de vie, ces assises se sont penchées de nombreux sujets tels que : le coût invisible du bruit (en termes sanitaire et social) ; la place de l’automobile dans le bruit urbain avec la mise en place de zones 30 ; le rôle de la végétation comme réducteur acoustique ; l’organisation de la médiation nocturne et l’ouverture d’offices de la tranquillité dans certaines villes ; les innovations technologiques dans le secteur des transports ou encore la place des matériaux biosourcés dans l’acoustique des bâtiments. La ville de demain se profile comme un paysage sonore de plus en plus doux. La généralisation des voitures électriques pourrait être la première pierre de la construction d’un environnement urbain apaisé, au sein duquel les bruits de la « nature en ville » (oiseaux, insectes, eau…), tant promise par les aménagements contemporains, pourront peut-être s’épanouir.

Le son est une question de relations sociales qu’il s’agit de traiter par une législation qui explicite des droits et des devoirs, afin de limiter les émissions sonores et de renforcer l’isolation. La première législation acoustique date dans le logement de 1969. L’état a refondé cette réglementation une première fois en 1994, puis en 1999, sous le nom de Nouvelle Réglementation Acoustique.[7] En 2008, lorsque le CERQUAL[8] réalise des mesures de contrôle sur plus de 800 opérations neuves en France, on découvre qu’un bâtiment sur deux n’est pas conforme acoustiquement, alors même que ces opérations visaient une qualité revendiquée par les maîtres d’ouvrage. Suite à ce constat alarmant, un décret est pris le 31 mai 2011 afin d’exiger une attestation « de bonne conformité acoustique »[9] pour toutes les opérations de logements neufs dont le PC est postérieur au 1er janvier 2013 ; cette attestation étant basée sur des mesures réalisées en fin d’opération.

Une lame de fond est apparue récemment contre l’empilement de réglementations qui s’impose toujours plus aux acteurs de la construction, et en particulier pour critiquer cette dernière née de la réglementation acoustique. Améliorer l’habitabilité de notre environnement passe par une analyse fine du contexte et des spécificités du client. les priorités doivent pouvoir être dégagées dès les prémices du projet, par les programmistes notamment. Les textes règlementaires ne doivent pas remplacer cette analyse. Mais ils doivent aussi prévoir de laisser une marge de manœuvre aux concepteurs, tout en vérifiant à la fin que le projet conjugue bien qualités d’usage avec performances. En matière d’acoustique, on peut et doit vérifier par des essais objectifs que certaines performances sont bien atteintes Mais la nécessité de simplifier notre mille-feuille administratif, et de faire des économies, entre directement en conflit avec ce prérequis, comme en témoigne le récent « Choc de simplification » promis par l’état qui pourrait supprimer sous peu l’obligation de fournir une attestation de bonne conformité acoustique pour les constructions neuves. Un pas en avant, un pas en arrière : le jeu des paramètres est complexe pour trouver un équilibre dans ce débat acoustique et aboutir à des paradoxes.

Les labels environnementaux, qui participent également à l’amélioration du confort acoustique des constructions neuves, ne proposent pas les mêmes critères et principes d’analyse selon les pays dont ils sont issus. La première version de la certification HQE encadrait fortement les performances acoustiques à atteindre sans juger de leur pertinence vis-à-vis du contexte. La certification BREEAM laisse au maître d’ouvrage, et donc aux concepteurs, plus de choix dans les priorités.

La complexité est la matière première avec laquelle travaillent les l’architectes et les urbanistes. Plutôt que de les contraindre à cocher bêtement des cases de certification, faisons leur confiance pour trouver les solutions. Si la réglementation doit définir des règles du jeu communes à tous, elle doit aussi prévoir du jeu dans ces règles. En terme de réglementation, nous pensons qu’il faut redonner de la liberté aux concepteurs, tout en leur demandant des comptes sur le résultat. Par exemple, peu d’architectes savent que la réglementation les autorise à faire réaliser des mesures spécifiques sur le site du projet pour tester son niveau sonore. Ils peuvent ainsi se baser sur une réalité éprouvée, plutôt que de se conformer au maximum acoustique exigé par la réglementation et de sur-isoler systématiquement tous les bâtiments.

Un spectre d’ambiances acoustiques

L’acoustique est un matériau incontournable de l’architecture et de l’aménagement urbain. Elle participe pleinement de la qualification d’un lieu. Elle lui donne une singularité tout en générant un panel de sensations, d’émotions et d’échanges. Le son est indissociable de l’activité, chaque type de programme propose une ambiance acoustique propice aux usages qui vont s’y développer. Les acteurs de la construction ont ici une grande responsabilité car leur œuvre induit une façon de vivre et d’habiter les lieux, et en matière de condition sonore, les palliatifs sont rares… Alors avec quelle palette acoustique les concepteurs peuvent-il composer pour construire ?

On peut commencer par jouer du contraste entre les différentes ambiances d’un même lieu. Par exemple, dans une salle de spectacle, le foyer pourra être plutôt réverbérant pour accentuer l’effet de foule qui excite le public avant un spectacle. Pour ce faire, les matériaux choisis seront plutôt minéraux : verre, béton ou pierre. Les sas par lesquels transite le public, comme un goulot d’étrangement, pourront être eux très absorbants. On utilisera du tissu, du bois ou des parements percés. La salle de concert possèdera une acoustique maîtrisée qui permettra d’accompagner la prestation faite sur la scène. On travaillera avec des plafonds courbes pour diffuser le son et des tissus en fond de salle pour éviter des retours gênants.

Dans un stade, on recherche un effet de ferveur sonore. Sa conception acoustique doit mettre en exergue et décupler la sensation de foule. L’enveloppe est dessinée pour générer un « effet chaudron » qui accentue la sensation d’être dans l’action, avec les joueurs sur le terrain. Cette volumétrie et cette acoustique agissent aussi sur les joueurs portés par l’enthousiasme des spectateurs diffusé dans toute l’enceinte du stade et des tribunes.

Dans une brasserie, le brouhaha est à la fois perçu comme une nuisance pour les clients, mais aussi comme le gage de la convivialité et de l’attractivité du lieu. La densité de population rassemblée dans un même espace est le premier paramètre acoustique à prendre en compte. Diminuer le nombre de tables, les écarter les unes des autres et relever la hauteur sous plafond améliorera le confort sonore des lieux tout autant que des dispositifs purement acoustiques. On peut aussi jouer dans l’aménagement intérieur avec des matériaux absorbants et des hauteurs de chaise ou de banquette pour créer des microclimats.

Les salles de cinéma sont des lieux très spécifiques. Leur acoustique sèche, feutrée et mate se rapproche de la salle anéchoïque pour que la bande-son du film soit le plus fidèle possible à l’œuvre. C’est pour cela qu’il est très compliqué de transformer une salle de cinéma en salle de concert. Au cinéma tout est absorbant : murs, sols, fauteuils. L’ambiance acoustique des salles sombres permet une immersion totale des spectateurs dans l’image et le son. Ils sont amenés à vivre une expérience individuelle et intime au sein d’une foule silencieuse.

Dans une salle de cours ou de conférence, c’est l’intelligibilité de la voix qui constitue l’élément déterminant du programme acoustique. L’éducation passe avant tout par la voix. Ainsi la bonne transmission du savoir repose sur le degré d’intelligibilité d’une salle de classe ou d’un auditorium, et sur sa capacité à réduire les bruits de fond. Cette intelligibilité repose sur une déformation du son la plus minime possible entre la source dont il est émis et le récepteur. Plus le temps de réverbération d’un espace sera court, plus l’intelligibilité de la voix sera bonne. Bien que difficile à mesurer, l’intelligibilité a un impact direct sur le niveau de compréhension et de fatigue des auditeurs.

Le logement est le lieu de l’intimité et du repli. On y recherche la tranquillité et la protection. La réglementation contemporaine conduit à concevoir des logements qui cherchent avant tout à s’isoler des bruits extérieurs. On augmente l’épaisseur d’isolant acoustique et d’isolant thermique à mesure que l’on standardise les ambiances. Mais comme la réglementation n’oblige à rien sur l’intérieur du logement, et qu’il faut toujours trouver de possibles économies, les cloisons entre les différentes pièces ont vu leur épaisseur se réduire comme peau de chagrin. Dans un logement neuf, on se retrouve alors bien isolé de ses voisins et de la rue, mais paradoxalement de plus en plus exposé aux bruits internes à l’appartement. Et donc en contradiction même avec l’idée d’intimité acoustique.

De l’ingéniosité des maîtres d’oeuvre

Les architectes qui prennent en compte la dimension acoustique, et qui la travaillent réellement, s’immiscent dans un champ souvent abandonné aux ingénieurs et aux acousticiens. Nous défendons cette façon de faire car il s’agit de considérer la discipline architecturale dans sa globalité, de ne pas la cantonner aux seuls aspects plastiques, visuels et spatiaux, mais de l’ouvrir à la construction d’environnements.

Entrevoir l’architecture comme un environnement acoustique modulable et manipulable déploie un champ nouveau dans la création constructive. Les maîtres d’œuvre sont appelés à faire preuve d’ingéniosité pour intégrer l’ambiance acoustique aux espaces qu’ils conçoivent avec l’aide des acousticiens. Ils peuvent choisir parmi des formes spécifiques, des mise en œuvre étonnantes, des matériaux innovants ou des gammes de produits plus ou moins nouveaux. Leur ingéniosité réside dans la manière de composer avec élégance les usages, les fonctions, les formes, les matériaux et les produits pour créer des espaces sensuels et signifiants.

Un des défis reste à relever : celui de la polyvalence des lieux et de leurs ambiances. Les industriels misent déjà dessus en proposant des produits polyvalents et adaptables comme du luminaire combinant fonction lumineuse et acoustique. Bureaux transformés en logements, équipements de proximité ou espaces publics couverts : les maîtres d’œuvre doivent désormais s’emparer de ce sujet en anticipant l’adaptation acoustique des lieux en fonction de leur potentielle mutation d’usage.

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Article écrit par Emeric Lambert (PARC Architectes) – Stéphane Mercier (PEUTZ & Associés) – Olympe Rabaté (chercheuse en design)

Publié en version longue avec des études de cas dans Archicrée n°369, déc. 14 / janv. 15

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[1] Étude Ifop pour le Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, « Les Français et les nuisances sonores », Septembre 2014 : 86% des Français se déclarent gênés par le bruit

[2] Le titre de notre article faisant explicitement référence à l’excellent ouvrage : Architecture &Volupté thermique de Lisa Heschong, éditions Parenthèses, 1992

[3] Directive 2002/49/CE, transposée en droit français par la loi 2005-1319 du 26-10-2005, connue essentiellement par la nécessité de mettre à la disposition du public de « cartes de bruit » pour les grandes villes et axes de transport.

[4] Good pratice guide on quiet areas – EEA – 04 2014 ; Guide national pour la définition et la création de zones calmes, G. Faburel, N.Gourlot du C.R.E.T.E.I.L.- 2008

[5] Cf. le numéro hors série du magazine « Echo Bruit » édité par le Centre d’Information et de Documentation sur le bruit – octobre 2014.

[6] Cf. le numéro hors série du magazine « Echo Bruit » édité par le Centre d’Information et de Documentation sur le bruit – octobre 2014.

[7] Arrêté du 30 juin 1999, connu sous le nom de NRA (Nouvelle Réglementation Acoustique)

[8] http://www.qualite-logement.org/referentiels-et-documentation/articles-thematiques/la-qualite-acoustique-des-logements/interview-de-nicolas-balanant.html

[9] Arrêté du 27 novembre 2012 relatif à l’attestation de prise en compte de la règlementation acoustique dans les logements

[10] European Aeronautics: A vision for 2020

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