
Janvier 2015, deux cents jeunes diplômés se massent dans l’amphithéâtre d’une école d’architecture. J’assiste à mon premier cours de HMONP, formation post-master, couplée à une expérience professionnelle, et nécessaire à l’exercice du métier d’architecte en son nom propre.
Comme la plupart, je fais mes premiers pas de salariée en agence et je suis plutôt préoccupée. Mon premier constat n’est pas spécialement encourageant. La profession va visiblement mal ; les élections successives et la crise économique ont ravagé le marché de la construction. La plupart des étudiants présents ont peiné à trouver une structure pour les accueillir, les heures s’enchaînent, les statuts sont parfois précaires et les salaires relativement bas.
Pourtant mon inscription en HMONP suit une dynamique plutôt optimiste. J’ai comme beaucoup l’ambition de travailler en mon nom, plus tard, quand la conjoncture sera plus favorable, ou plus tôt, si des opportunités se présentent.
En m’asseyant dans cette salle je suis donc partagée entre interrogations, doutes, envies, ambitions. Pourquoi mes cinq ans d’études ne me garantissent-elles pas un emploi stable et rémunérateur ? Pourquoi la profession dans son ensemble semble-t-elle à ce point dévastée et découragée ? Que faut-il faire pour devenir à mon tour l’un de ces praticiens, fiers de bien concevoir et de bien construire ?
Les réponses ne viendront pas pendant cette formation. J’en déduis que ces questionnements ne concernent pas uniquement la catégorie naïve des jeunes diplômés mais potentiellement une partie importante de la profession.
La pratique, telle qu’elle nous a été enseignée, serait-elle devenue obsolète ? Une certaine morosité ambiante est en tout cas palpable, et ce même chez nos intervenants. La commande s’est raréfiée et les honoraires s’amenuisent, le nombre de candidatures pour chaque projet atteignant des chiffres records. Pire, on nous présente volontiers comme incompétents pour les missions les plus rémunératrices telles que le suivi de travaux, la gestion des opérations, la maquette numérique, et de fait elles échappent généralement à l’architecte. Les compétences de conception spatiale, de conceptualisation, de communication que j’ai apprise semblent au contraire être difficilement valorisables.
Je suis en train de suivre une formation qui doit me permettre d’accéder à un titre protégé. Mais je ne me sens pas protégée. Pour une grande partie de mon entourage non-architecte, je ne suis qu’un prestataire de plus, une embûche réglementaire et financière ralentissant les projets et alourdissant les budgets. On me demande régulièrement à quoi sert mon métier et la réponse, si évidente à priori, reste hasardeuse une fois formulée ; peut-être parce que je n’ai jamais appris à l’expliquer simplement.
Dans ce contexte, à quoi bon suivre une formation prônant un titre dont seuls les détenteurs semblent encore se soucier ?
Sur l’estrade, les différents intervenants se succèdent, avouant à demi-mot leur impuissance face à un système qui désormais semble les dépasser. Mais face à eux c’est plutôt le questionnement et l’énergie qui sont de mise. Pendant que l’on nous explique la loi MOP sous toutes ses coutures, les conversations digressent. Nous avons vaguement conscience que sans réseau et sans références, nous mettrons longtemps avant de décrocher une telle commande. Autour de moi on parle plutôt statut et facturation. Je réalise progressivement que si une bonne partie des personnes présentes sont salariées, une autre part conséquente a déjà une activité en son nom, sous forme d’associations, de collectifs ou de petit entreprenariat. Ce rassemblement est propice à l’échange et permet de partager expériences et conseils dans des situations ou tous sont plus ou moins autodidactes dans la gestion financière et le montage administratif. Quelques jours plus tard un promoteur privé, soulèvera l’incapacité des architectes à défendre leurs intérêts financiers face leurs interlocuteurs. Une voix collective s’élèvera pour revendiquer la qualité architecturale, et non la marge, comme valeur fondamentale et indissociable de notre travail. A force de nous observer, il est facile de percevoir que les individus présents sont fait d’un mélange subtil d’intensité créative et de volonté d’entreprendre.
Alors, malgré cette crise perceptible, mon optimisme s’est finalement renforcé à l’issue de ces deux semaines de cours. Deux cents architectes dans un amphithéâtre, ce fut à la fin autant de forces pensantes rassemblées dans le but de questionner le futur de notre profession. N’ayant ni l’envie ni forcément le choix de nous réorienter, notre début de carrière sera peut-être différent de celui auquel nous avions aspiré. Peut-être devrons-nous commencer par mettre à profit l’enseignement que nous avons reçu, non pas pour concevoir des bâtiments, mais pour questionner, critiquer, et demain réinventer le métier d’architecte.
Couard_Anonyme
22/04/2015
le début d’une anthologie espérons le… Mais c’est tout de même une question/un problème que la profession/ les étudiants ne soient pas un corps unis… Et ce malgré ces petits moment d’embellis, on est quand même pas dans un mouvement global d’aller vers l’avenir… L’enseignement conféré dans les écoles est clairement dépassé non ? si quand on sort on est face à un taux d’employabilité si faible, pour des études si professionnalisante c »est quand même un indicateur que ça va très mal, et qui n’est pas seulement à mettre sur le dos de crise non ?
Sekiou leah
23/04/2015
Merci de ce message. Peut on échanger nos mails je suis en hmonp a l école de Marseille et mon mémoire part de réflexions similaires.
Je nai pas fini de l’écrire ( j’ai jusqu’à octobre) mais ça m’intéresserai de parler avec toi et d’échanger a ce sujet. J’ai un peu avanvé de mon côté dans cette manière de réinventer le métier et il se pourrait bien qu elle parte de cette synergie collective.
Voici mon mail leah9343@hotmail.com
Bon courage!
Sekiou leah
23/04/2015
Oups mon adresse est leah0343@hotmail.com ou Leah.sekiou.archi@gmail.com
Soyons positifs. Nous avons de la chance d’arriver dans un contexte aussi dépassé. Car ça nous laisse la formidable opportunité de faire autrement! Le collectif etc à Marseille à dit ceci a propos de la ville : Marseille est une ville qui a a la fois 20 ans de retard et 20 ans d’avance car c’est justement ce formidable retard qui lui permet l’opportunité d’agir et de prendre tant d’avance. Constituons nous en groupe de réflexion pour faire avancer cet enseignement hmo inter école! Nous pouvons changer les choses! :)
eliov
23/04/2015
Chers jeunes diplômés, au risque que cela ne vous plaise pas, voici mon point de vue après 7 ans de pratique en nom propre ; Eh oui, je fais parti des dernier dplg.
Qu’est-ce qu’un Architecte !?!
Une personne ayant la capacité de bien construire.
C’est la meilleure réponse que vous pourrez faire autour de vous. Le trait architectural, votre « Patte », c’est pas pour tout de suite, voir l’exercice à la fin de mon message.
SEULEMENT, seulement… Cela prend du temps. Il ne s’agit pas de faire des choses extraordinaires en sortant de l’école. Il s’agit d’apprendre la matière. Apprendre les gestes des ouvriers. Prévoir leurs questions. Vous devrez en effet créer votre propre réseau avec des Artisans que vous considérerez comme vos ÉGAUX, et surtout pas comme des exécutants.
En bref, avant de palabrer sur l’avance et le retard d’une ville et de son histoire, ne vous contentez pas d’observer : débrouillez-vous pour suivre tous les chantiers qui se trouvent dans votre ville. Comprendre pourquoi tel aspect fonctionne et tel aspect ne fonctionne pas. Ne cherchez pas de solutions Ouvrez vos yeux / Ouvrez vos oreilles / Faites silence. Soyez tout petit parmi les Grands. Beaucoup de certitudes tomberont… Tout ne peut pas être parfait !
Petit exercice pour votre premier chantier : ne cherchez pas l’extraordinaire trait architectural, ne vous enclavez pas dans des discours de grand architecte que vous n’êtes pas (encore) MAIS : faites en sorte que chaque acteur du chantier (MO, Artisan, Architecte) y trouve son compte ; ça c’est du lourd.
Posez vous cette question : « Quelles sont les préoccupations de chacun ? ». Vous découvrirez la clef de la réussite. Alors le cercle vertueux se mettra en route et vous vous verrez confier sans trop de questions des projets de plus en plus ambitieux… et rémunérateurs.
Avec tout mon courage pour cet ardu apprentissage passionnant qu’est la construction.
AS
Manu
24/04/2015
bonjour
Je suis un collègue de profession qui devrait arriver à 10 ans d’existence dans cette jungle prochainement
Je ne veux pas t’allarmer plus que ça mais oui il va certainement falloir ajuster le tir.
Tout d’abord la formation tel que tu l’as reçu n’est que le prémisse de l’apprentissage du métier d’architecte
Ensuite comme tu l’as fait remarquer sans réseau c’est compliquer, voir impossible et surtout que ce petit monde se sert les coudes pour que tu ne puisses qu’occasionnellement voir jamais avoir accès au gâteau
Le rotarys, le Lions club, la franc maçonnerie … font partie des meilleurs options pour arriver à cette table, ou de connaître un ancien qui en fait parti et qui t’y introduit
Enfin, une fois que « tes » ambitions d’architecte star au goût plus prononcé pour la sculpture que pour l’architecture seront balayées par la vie, tu te retrouveras dans le wagon des archis qui crèvent la dalle et qui acceptent de travailler à 3.5% pour des promoteurs plus ou moins véreux…
La vérité, je l’espère, ce trouve à mi chemin, dans une profession ou l’usager de notre production se retrouve au centre du débat et que les égos des uns et des autres retombent un petit peu
C’est un métier indispensable qu’il faut faire avec amour, car il fait souffrir, il demande des sacrifices, mais il apporte tant que ça en vaut la peine
Adélie Collard
24/07/2015
Je réponds un peu tard, mais merci pour ces commentaires.
Je vois à l’ensemble de ces réponses que mes confrères sont animés, malgré une certaine appréhension générale quant à l’avenir de notre métier, par un attachement à un savoir faire, celui de bien concevoir et bien construire, et par un espoir, celui de voir notre profession affronter de manière collective les défis qui se présentent à elle aujourd’hui.
A l’Anonyme, pointant du doigt la question de la pertinence de l’enseignement en architecture, je nuancerai cette position. L’enseignement que j’ai reçu est effectivement en pleine contradiction avec la réalité de la profession. Mais il l’était déjà il y a trente ans d’après les témoignages que j’ai pu entendre. Pourtant beaucoup d’énergie est dépensée à réfléchir à l’évolution des programmes et de la pédagogie et je cherche pourquoi cette distanciation persiste. Personnellement j’ai appris énormément pendant mes études d’architecture, sur l’acquisition d’un esprit critique, la capacité à conceptualiser ou la pensée de projet. Je ne suis pas sûre de vouloir aujourd’hui troquer ces compétences contre un apprentissage plus pragmatique de la profession d’architecte. D’où ce questionnement : Les écoles d’architecture sont-elles finalement sensées nous former à la pratique du métier d’architecte ou bien à l’appréhension de l’architecture, comme leur nom semble l’indiquer ?
A Leah, je vous envoie un mail. Comme vous je crois beaucoup à cette opportunité du changement amplifié par un contexte critique.
A Eliov et Manu, avec votre expérience qui fait de vous de “jeunes” architectes au regard de la profession je ne peux que vous remercier d’intervenir sur ces débats. J’ai l’idée que trop d’architectes, une fois pris dans les déboires de la “jungle”, comme vous la décrivez, oublient que c’est eux qui construisent notre métier et assurent à notre génération, tout juste sortie de l’école, l’avenir de leur exercice. J’écoute, je regarde, j’apprends tous les jours.