Vis ma vie de HMO – Episode 1

Posted on 21/04/2015 par

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Janvier 2015, deux cents jeunes diplômés se massent dans l’amphithéâtre d’une école d’architecture. J’assiste à mon premier cours de HMONP, formation post-master, couplée à une expérience professionnelle, et nécessaire à l’exercice du métier d’architecte en son nom propre.

Comme la plupart, je fais mes premiers pas de salariée en agence et je suis plutôt préoccupée. Mon premier constat n’est pas spécialement encourageant. La profession va visiblement mal ; les élections successives et la crise économique ont ravagé le marché de la construction. La plupart des étudiants présents ont peiné à trouver une structure pour les accueillir, les heures s’enchaînent, les statuts sont parfois précaires et les salaires relativement bas.

Pourtant mon inscription en HMONP suit une dynamique plutôt optimiste. J’ai comme beaucoup l’ambition de travailler en mon nom, plus tard, quand la conjoncture sera plus favorable, ou plus tôt, si des opportunités se présentent.

En m’asseyant dans cette salle je suis donc partagée entre interrogations, doutes, envies, ambitions. Pourquoi mes cinq ans d’études ne me garantissent-elles pas un emploi stable et rémunérateur ? Pourquoi la profession dans son ensemble semble-t-elle à ce point dévastée et découragée ? Que faut-il faire pour devenir à mon tour l’un de ces praticiens, fiers de bien concevoir et de bien construire ?

Les réponses ne viendront pas pendant cette formation. J’en déduis que ces questionnements ne concernent pas uniquement la catégorie naïve des jeunes diplômés mais potentiellement une partie importante de la profession.

La pratique, telle qu’elle nous a été enseignée, serait-elle devenue obsolète ? Une certaine morosité ambiante est en tout cas palpable, et ce même chez nos intervenants. La commande s’est raréfiée et les honoraires s’amenuisent, le nombre de candidatures pour chaque projet atteignant des chiffres records. Pire, on nous présente volontiers comme incompétents pour les missions les plus rémunératrices telles que le suivi de travaux, la gestion des opérations, la maquette numérique, et de fait elles échappent généralement à l’architecte. Les compétences de conception spatiale, de conceptualisation, de communication que j’ai apprise semblent au contraire être difficilement valorisables.

Je suis en train de suivre une formation qui doit me permettre d’accéder à un titre protégé. Mais je ne me sens pas protégée. Pour une grande partie de mon entourage non-architecte, je ne suis qu’un prestataire de plus, une embûche réglementaire et financière ralentissant les projets et alourdissant les budgets. On me demande régulièrement à quoi sert mon métier et la réponse, si évidente à priori, reste hasardeuse une fois formulée ; peut-être parce que je n’ai jamais appris à l’expliquer simplement.

Dans ce contexte, à quoi bon suivre une formation prônant un titre dont seuls les détenteurs semblent encore se soucier ?

Sur l’estrade, les différents intervenants se succèdent, avouant à demi-mot leur impuissance face à un système qui désormais semble les dépasser. Mais face à eux c’est plutôt le questionnement et l’énergie qui sont de mise. Pendant que l’on nous explique la loi MOP sous toutes ses coutures, les conversations digressent. Nous avons vaguement conscience que sans réseau et sans références, nous mettrons longtemps avant de décrocher une telle commande. Autour de moi on parle plutôt statut et facturation. Je réalise progressivement que si une bonne partie des personnes présentes sont salariées, une autre part conséquente a déjà une activité en son nom, sous forme d’associations, de collectifs ou de petit entreprenariat. Ce rassemblement est propice à l’échange et permet de partager expériences et conseils dans des situations ou tous sont plus ou moins autodidactes dans la gestion financière et le montage administratif. Quelques jours plus tard un promoteur privé, soulèvera l’incapacité des architectes à défendre leurs intérêts financiers face leurs interlocuteurs. Une voix collective s’élèvera pour revendiquer la qualité architecturale, et non la marge, comme valeur fondamentale et indissociable de notre travail. A force de nous observer, il est facile de percevoir que les individus présents sont fait d’un mélange subtil d’intensité créative et de volonté d’entreprendre.

Alors, malgré cette crise perceptible, mon optimisme s’est finalement renforcé à l’issue de ces deux semaines de cours. Deux cents architectes dans un amphithéâtre, ce fut à la fin autant de forces pensantes rassemblées dans le but de questionner le futur de notre profession. N’ayant ni l’envie ni forcément le choix de nous réorienter, notre début de carrière sera peut-être différent de celui auquel nous avions aspiré. Peut-être devrons-nous commencer par mettre à profit l’enseignement que nous avons reçu, non pas pour concevoir des bâtiments, mais pour questionner, critiquer, et demain réinventer le métier d’architecte.

 

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