
Depuis le début du confinement en région parisienne on a pu observer sur les réseaux sociaux le passage d’animaux tout à fait inattendus dans l’espace urbain. Les canards se promènent dans Paris, les renardeaux dans le cimetière du Père Lachaise, certains disent même avoir aperçu des daims dans les rues de Boissy-Saint-Léger.
Immanquablement ces surgissements soudains de la nature en ville sont accompagnés de la même mention : “la nature reprend ses droits”. Les réactions sont unanimes à ces posts : nous humains sommes le problème, dès que le bruit de nos moteurs et de nos foules se tait, la nature ressurgit.
Passé l’émerveillement de voir ces animaux mignons s’aventurer en ville, cette réaction désespérée de l’impact humain sur la biodiversité apporte pourtant plus au négativisme ambiant qu’elle ne permet le changement.
Prenons la question du point de vue de l’urbaniste et de l’architecte pour essayer d’avancer. En tant qu’humain, nous aimerions vraisemblablement voir plus souvent des canards Place de la République et des renards au Père Lachaise. Or pourquoi ne les voit-on pas d’ordinaire ?
Un premier élément de réponse est que la Place de la République n’a pas été conçue pour la biodiversité. L’ambition des concepteurs de cette place est d’en faire un lieu de rencontre intensément humain, attractif et appropriable, une scène ouverte1. On peut rappeler le point de départ du projet, transformer ce qui n’était alors qu’un rond-point et un parking en place métropolitaine. Mission réussie pour TVK tant la place de la République s’est muée ces dernières années en lieu intense de rencontre et de démocratie. Assurément le canard ne trouve pas sa place dans les manifestations, ne prend pas le métro et n’aime pas trop le skateboard. L’usage de la place n’est pas pensé pour le canard.
Une deuxième hypothèse est que ces espèces sont bien présentes en temps normal mais que nous ne les voyons pas. S’il suffit de quelques jours pour apercevoir des animaux dans l’espace urbain c’est certainement qu’ils sont installés dans les écosystèmes proches depuis longtemps, habitants discrets des interstices urbains. Habitués à penser la nature comme une entité extérieure à la ville et aux humains nous avons tendance à oublier que nous en faisons en réalité partie et que cette conception duale est une pensée occidentale singulière qui n’est absolument pas partagée par les autres cultures2. Le botaniste Boris Presseq, en décrivant à la craie blanche les végétaux poussant sur les trottoirs de Toulouse a fait récemment la démonstration flagrante de notre incapacité à voir la biodiversité existant en ville3.
Enfin, si les canards et les renards ne sont pas visibles dans l’espace public en temps normal c’est aussi certainement parce qu’une grande partie de la biodiversité nécessaire à leur survie est considérée comme nuisible et éradiquée de l’espace urbain. Un canard salit les aménagements urbains, consomme des insectes que nous nous efforçons de supprimer de la ville. Pour des raisons légitimes d’hygiène, de santé, d’entretien des équipements urbains la biodiversité est considérée en ville comme nuisible. C’est d’ailleurs l’un des obstacles majeurs à la réalisation de projets d’amélioration de la présence de la nature dans l’espace urbain. Quand la création de zones végétalisées ou humides s’avère propice au développement d’insectes, de rongeurs ou d’espèces allergènes et que les effets secondaires de ces aménagements plébiscités par les habitants se révèlent, la machine inverse s’enclenche, rompant le développement des écosystèmes.
Pourquoi malgré tout, voudrions-nous voir plus de canards Place de la République ?
Ce que traduit notre émerveillement c’est aussi le signe que nous avons de plus en plus besoin de nous rassurer sur la viabilité de notre environnement. Nous ne sommes plus très sûrs, encore moins face à la maladie, que la ville nous offre un cadre de vie sain en tant qu’humain. Voir la biodiversité se développer autour de nous c’est peut-être avoir la confirmation que l’environnement est vivable. S’il y a des plantes, il y a de l’oxygène. S’il y a des animaux, il y a de la nourriture.
La formule “la nature reprend ses droits” est erronée parce que faisant nous-mêmes partie de la nature nous n’avons pas pu lui enlever ses droits. Au contraire, nous reprenons conscience de notre environnement et des indicateurs qui devraient nous indiquer qu’il fonctionne normalement. La nature ne reprend pas ses droits, c’est nous qui exprimons le besoin d’un environnement viable pour notre fonctionnement d’être vivant.
Cette prise de conscience, qui plus est pendant un temps où n’avons pas la possibilité d’en sortir, remet la conception de la ville au centre des chantiers à amorcer pour un monde plus durable. Imaginer une ville intégrant mieux la nature, c’est avant tout penser un environnement plus propice au développement humain. Penser un écosystème pour l’homme c’est de fait réaliser qu’il fait partie d’une chaîne complexe, celle de la biodiversité dans son ensemble.
Si j’ai besoin des plantes et du canard pour qu’ils me donnent une indication sur la viabilité de notre écosystème je dois arrêter de me conduire en prédateur et ne plus les chasser de l’espace habité de la ville. Concevoir une ville avec une place pour le canard c’est limiter les impacts sonores pour qu’il ne se sente pas en danger, ménager des cachettes pour qu’il puisse s’abriter comme des hautes herbes ou des arbustes. Pour qu’il puisse se nourrir, il faudrait réintégrer des zones humides et des strates herbacées et arbusives à l’espace urbain.
Enfin nous devrions apprendre à le voir, remarquer sa présence et la respecter. Faire moins de bruit quand nous passerons à côté de lui, ne pas couper les fleurs qui lui servent à se cacher, tolérer les graminées et les insectes qui lui servent à s’alimenter. En échange, sa présence nous indiquera que l’air est sain, que le taux d’humidité est correct et que les plantes qui assurent notre oxygène et notre alimentation ont de bonnes conditions pour se développer.
L’exemple du canard est l’aperçu d’un chantier colossal dans la transformation de nos villes. Nous devons réapprendre à partager le monde avec les autres êtres vivants.
Liens et références :
1Sur la conception de la place de la République : http://www.tvk.fr/architecture/place-de-la-republique-paris
2Sur les différentes perceptions de la nature dans le monde : Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, coll. Folio essais, 2015, 800 pages
3Sur l’initiative de Boris Presseq : https://www.brut.media/fr/entertainment/toulouse-ce-botaniste-trace-a-la-craie-le-nom-des-plantes-sauvages-f1bbaded-03d9-4f27-9f66-f7bbea25df31
Posted on 07/05/2020 par Adélie
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