Vide I – Epaisseur

Posted on 20/10/2012 par

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L’espace est une notion du discours architectural que je n’ai jamais vraiment appréciée. Elle me paraît trop Euclidienne et sculpturale, coincée dans une opposition entre le plein et le vide. Si bien que je préfère la remplacer par la notion même de vide. Or, le vide est plein. La description faite par le maître d’œuvre de l’Abbaye du Thoronet dans Les pierres sauvages de Fernand Pouillon, exprime assez bien l’idée que je me fais du vide :

« Les volumes sont à la fois pleins et vides. Tantôt comme des bornes le long d’un chemin, tantôt des espaces fermés, couverts, ou à ciel ouvert. Dans le cloître, par exemple, nous avons conscience d’un volume d’air et de lumière enchâssé dans les pierres : arcades, colonnes, murs. Ces deux sensations vivent ensemble avec leurs trois dimensions et leurs mouvements. Le moule est de pierre, le sujet dégagé sera air et lumière ; ils ne peuvent se passer l’un de l’autre, et nous nous devons de les imaginer ensemble. Au cours de notre promenade dans le jardin nous verrons couler comme un cristal liquide cette atmosphère, nous la verrons pénétrer, remplir les galeries jusqu’au sommet des voûtes, épouser toutes les formes jusqu’au faîte des toitures et se perdre dans le ciel. Après ils seront tous deux volumes, l’un impénétrable, l’autre fluide et transparent. Liés par la même peau, leurs mouvements seront communs. » Fernand Pouillon, Les pierres sauvages, Editions du Seuil, 1964, p. 119

Le vide est remplit. Il contient non seulement de l’air, de la lumière mais également de l’eau, des sons, des odeurs, des mouvements d’air, des ondes électromagnétiques, des radiations, des poussières ou des microorganismes.

L’architecture est le contenant, le réceptacle des constituants du vide. A partir de là, on peut relire bon nombre de bâtiment comme des dispositifs de conditionnement du vide. Un hôpital devient une collection d’exceptions atmosphériques dans certaines pièces l’air est purifié de ses microorganismes, dans une autre l’air est refroidit ou réchauffé, pulsé ou extrait, dans les salles de radiologies circulent des rayons X ou des champs magnétiques, etc… Un laboratoire scientifique devient un instrument de mesure puisque les conditions qu’il instaure entrent en compte dans les mesures mêmes. Dans un autre registre, des thermes deviennent un dispositif à étanchéités variables remplit d’eau liquide et gazeuse. Un sauna est une boîte pleine de rayonnements infrarouges. Une salle de spectacle est une caisse de résonnance couplée avec un dispositif lumineux hallucinogène. Une église est une chambre d’échos, d’ombre et de lumière. Un immeuble de bureau se définit comme une bulle climatique stabilisée. Un restaurant est un stimulateur sensoriel.

L’architecture est plongée dans le vide.

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