
Christian Hauvette suivait une ascèse saine et abstraite. Pas de cigarettes, peu d’alcool, des livres, de la musique et du sport.
Arrivée tôt le matin, parfois en vélo mais le plus souvent à pieds par les transports en commun. Une démarche franche et vive mais un peu aveugle. Le regard perçant derrière des lunettes ovales et solides. Un sac en bandoulière déposé avec nonchalance, presque jeté au pied de son bureau. Le Monde déposé de l’autre main sur la table. Christian Hauvette entamait les journées avec vigueur.
Il rentrait dans les choses avec assurance. Un stratège plus qu’un tacticien. Il détestait et évitait les conflits.
Il avait toujours un livre en cours de lecture qu’il dégainait lors des transports. Les ouvrages terminés ou à lire formaient sur son bureau des pyramides bien alignées à côté d’autre tas, nombreux. Je l’ai vu lire : Duby, Faulkner, Barthes, Ponge, Latour, Gombrich, Wittgenstein, Didi-Huberman, Goodman… Insatiable, il ne comprenait pas pourquoi ses étudiants lisaient si peu.
Il mangeait mal : ni bon, ni bien. La première fois où il m’a invité au restaurant, on a mangé un steak frites trop cuit. Il était cependant gourmand. Il se goinfrait de chocolat. Il aimait la pâtisserie parce que : « c’est construit alors que la cuisine c’est un peu de la tambouille ! ». La dernière fois où l’on a mangé ensemble, c’était dans un de ses repères » la boulangerie la moins chère du quartier ! ». Ce n’était pas mauvais pour le prix mais comme on était pressé on a avalé sandwich et gâteau dans le métro… Christian détestait les grosses bouffes de business avec les « gros ventres » comme il les appelait.
Beaucoup de sport. Surtout du bateau et du ski souvent. Il avait un petit voilier : un 5.5 de compet’ construit en Suisse.
La musique faisait certainement partie de son régime quotidien. Il m’avait dit s’être écouté l’intégrale des symphonies de Shostakovich pendant sa récente convalescence. Il ne lui manquait que la 15ème et dernière, celle dans laquelle le compositeur revisite son œuvre par des collages hétéroclites. Une dernière symphonie joyeuse et funeste. La musique du Beethoven Russe était une des plus proche de son travail d’architecte.
Son ascèse quotidienne, une exigence devenue une habitude naturelle, consistait à entraîner son agilité intellectuelle, sa musculature d’athlète de la logique en épuisant des machines conceptuelles élémentaires mais efficaces comme des voiliers.
Le cœur de l’entraînement de Christian était celui de son œil. Noir, avec un reflet au fond de la pupille comme un cristal. Capable de ne rien voir de ce qui ne l’interrogeait pas, cet œil se plissait légèrement pour percer ce qu’il voulait comprendre. Pointu, dur, chatoyant et incisif cet œil démontait ses sujets d’observation jusqu’à en comprendre le fonctionnement, l’assemblage, en identifier les constituants essentiels.
Son entraînement régulier se focalisait sur la combinaison de termes élémentaires. Que ce soit pour sa tenue qui constituait une composition étrange : veste en velours, chemise à carreaux, pantalon en toile épaisse, chaussure en cuir à semelle crampon. Même démarche dans la composition de son équipe, ses collaborateurs, comme il les appelait, formaient un mélange efficace composé d’un sérieux à la limite de l’autisme, d’un volubile, d’une esthète rigide, d’une italienne joyeuse, d’un autrichien nonchalant,… des jeunes essentiellement et quelques confirmés. La parité était toujours respectée.
Il aimait les choses construites avec des pièces hétérogènes assemblées avec ordre et rigueur, comme les voitures, les engins de guerre, les symphonies. A l’image de ces objets savants, il composait ses projets en formant des ensembles intelligibles souvent un peu moches et dissonants, mais toujours d’une increvable solidité.
Pour atteindre cette solidité, il lui fallait allier le savoir et la force, toujours marcher, faire un pas de plus dans un grand montage d’idées abstraites, simples et fiables. Tous les jours produire un effort !
Posted on 12/02/2012 par Emeric
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