Environnement suburbain

Posted on 10/11/2012 par

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J’utilise les termes d’environnement suburbain pour définir les lieux auxquels je m’intéresse plutôt que d’utiliser les termes plus courants d’espace périurbain afin de procéder à un double décentrement. Le terme d’espace est fortement lié, pour les architectes, avec le mouvement moderne, il fait écho à une dimension sculpturale du vide inscrit entre les éléments construits. L’environnement a lui une épaisseur en soi, il prend en compte l’espace et son contenu, que ce soient des personnes, des données climatiques, des éléments chimiques, des dispositifs techniques, une culture ou une politique. En mathématique ou en philosophie, l’espace désigne plutôt des choses homogènes alors que l’environnement suppose une hétérogénéité. L’espace semble extérieur à l’observateur alors que l’environnement le contient. Le premier décentrement vise donc à se placer directement dans l’épaisseur des choses.

Remplacer le terme de périphérie par celui de suburbain permet de décentrer le point de vue : on ne définit plus les choses par rapport à la ville-centre historique mais par rapport à elles-mêmes. Le suburbain s’est développé à partir des maisons individuelles alors que le périurbain serait né de la ville. L’environnement suburbain c’est l’intermédiaire entre la ville et la campagne : quand le bâti ne forme plus des espaces mais que les constructions sont installées dans le vide, quand la végétation et la terre remplacent les aménagements publics, quand la rue devient route ou autoroute. La représentation habituelle de l’environnement suburbain est un pavillon lové dans un jardin verdoyant. En comparaison celle de la ville traditionnelle est une rue animée. Entre ces deux figures le rapport spatial s’inverse : la rue est un espace formé par les constructions qui la bordent, le pavillon acquiert son autonomie grâce au vide qui l’entoure.

Laville suburbaine est un terrain vague parcouru par des réseaux aux intensités variables dont les terminaux sont des cellules autonomes. Sur un fond de campagne, l’organisation regroupe des infrastructures à l’échelle territoriale et des parcs thématisés. Il y a deux catégories de composants étalés sur un fond végétal ; d’une part, des autoroutes, des routes, des câbles, des voies de chemin de fer, des antennes, des tuyaux ; et d’autre part, des lotissements, des parcs industriels, des centres commerciaux, des parcs de loisirs. La structure fondamentale de l’environnement suburbain se constitue de parcs et de réseaux. Les parcs sont des entités autocentrées qui combinent paysage naturel et constructions. Ils s’étendent sur la totalité d’une propriété foncière dont les limites sont marquées par des dispositifs de ségrégation comme des haies plantées, des grillages, des barrières ou des murs. Les parcs sont des points d’exacerbation thématique. Les maisons sont des petits châteaux entourés d’un jardin, les parcs d’activités des lieux de travail de haute technologie, les zones industrielles des lieux sécurisés et parfaitement conformes aux normes internationales, les parcs de loisirs des espaces entièrement décorés pour simuler une réalité imaginaire, les villages de vacances des pastiches d’habitations traditionnelles aménagées comme des hôtels internationaux, etc… Les parcs ne cherchent pas à s’intégrer dans le site ou dans un ordre commun plus grand comme le ferait un immeuble dans une ville dense. Ils se vivent de l’intérieur et sont ajoutés comme des terminaux ou des nœuds supplémentaires à un réseau. Les parcs se conçoivent comme des mondes autonomes.

Même si le paysage suburbain est ponctué d’ouvrages d’art, on oublie souvent qu’il repose sur un gigantesque réseau de canalisations, de câbles et autres tuyaux. Si l’on pouvait voir à travers le sol on découvrirait un impressionnant enchevêtrement de tubulures irriguant tout le territoire puisque chaque construction est reliée aux réseaux d’eau potable, d’eau usée, d’eau de pluie, d’électricité, de téléphone, de télévision et d’internet… Il existe différents réseaux dont les plus importants sont : les infrastructures de mobilité des personnes et des marchandises (routes, trains, avions, bateaux), les infrastructures de distribution d’énergie (électricité, eau chaude, pétrole, gaz), les infrastructures d’information (télévision, radio, téléphone, internet). Ils relient entre eux les parcs et ponctuent les paysages. Ils représentent finalement ce qui est partagé par les habitants de l’environnement suburbain, ils sont le pendant des parcs où une forte ségrégation est mise en place par les propriétaires. Les parcs se développent dans les zones viabilisées par les réseaux. Ils s’accolent plus ou moins et forment autant de poches que de mondes indépendants. Les réseaux entraînent un développement rampant quasi végétal de la ville dans la campagne. Ils s’étirent comme des branches ou des racines, cherchant de manière opportuniste la terre la plus propice au développement. Les réseaux assurent les liaisons à grande distance. Ils ont permis de s’affranchir de la proximité, principale et historique raison d’être des villes denses.

La suburbanité n’est plus seulement une forme urbaine, c’est un mode de vie extensif qui se propage à mesure que se déploie la portée des réseaux. Partout où l’on peut accéder en voiture,partout où l’on peut téléphoner, on est dans la suburbanité. Si bien que dans la ville suburbaine les noms de rue semblent avoir disparu. Pour trouver un lieu, il suffit de suivre les directions qui vous mènent au lieu recherché par une suite d’embranchements. Le maillage systématique de la ville traditionnelle a été remplacé par une arborescence opportuniste. Le paysage routier est ponctué à chaque intersection d’un panneau indiquant plusieurs directions. Aussi peu organisé que puisse paraître ce système de repérage, il n’y a dans cet environnement plus vraiment besoin de carte. Une destination se trouve par itération après une succession de bifurcations de plus en plus précises. Pour parfaire le système, tout ce qui pourrait limiter la fluidité du déplacement automobile est retiré. À ce titre, le rond-point est une invention remarquable qui a permis de remplacer l’arrêt alternatif des carrefours par un simple mouvement giratoire de ralentissement. Le complément informationnel des réseaux routiers est aujourd’hui le GPS (Global Position System) qui dédouble la réalité du territoire en carte informatique pouvant être configurée au gré de chacun et interrogée sur tout les paramètres du réseaux : localisation, temps de déplacement, consommation d’essence, etc… Si l’on applique cette logique de parcs et de réseaux à la ville dense, on peut lire celle-ci comme une intrication extrêmement serrée des réseaux avec les espaces thématiques. On peut considérer la ville comme une grande infrastructure de transport habitée, ou inversement comme une grande infrastructure d’habitation parcourue de réseaux. L’environnement suburbain, au contraire, sépare ces deux fonctions (habiter / se déplacer) et glisse entre elles végétation et espaces laissés vacants. Dans le suburbain, les éléments sont posés sans réel schéma directeur préalable. Le vide ou la nature restent comme des déchets spatiaux encore inexploités témoignant qu’avant, à cet endroit, il n’y avait rien.

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