
Le troisième parc
Après avoir visité le Parc du Confort et celui de la Raison, vous êtes conviés à découvrir le Parc du Projet. On y arrive par une route dont les abords sont en travaux. Les talus, autrefois délaissés, sont intégrés à l’aménagement. De nombreuses démolitions sont en cours. On voit des grues tourner pour construire des ensembles concentrés.
Dans ce parc en devenir, vous ne pourrez plus trouver de produit « clé en main ». Depuis qu’il a été décrété l’arrêt de l’extension urbaine pour raisons économiques, écologiques et – donc – politiques, les nouveaux projets doivent s’installer dans la ville suburbaine existante. Un moratoire sur l’étalement urbain est prévu pour un cycle d’aménagement de 15 ans pour qu’une nouvelle couche de ville se constitue sur la précédente. Les projets d’extension post moratoire devront être développés pour s’inscrire dans le temps et le territoire.
Il n’est plus possible d’installer des maisons par paquet sur des champs nouvellement viabilisés. La promotion expansive est suspendue. Il faut construire dans l’existant. Le suburbain, qui s’étendait sans fin, doit dorénavant évoluer sur lui-même. Il mutera une nouvelle fois, comme il l’a fait dans son histoire quand il a du intégrer les évolutions des modes de transports passant d’un urbanisme linéaire autour des chemins de fer au réseau routier . La logique de la demande qui prévalait en immobilier devra faire place à une logique de l’offre. Pour les promoteurs, il ne s’agit plus de produire en quantité pour satisfaire à une demande de masse mais de développer des projets innovants et de qualité pour répondre à des clients plus exigeants. Faire la ville sur elle-même nécessitera une fois de plus la capacité d’innovation des architectes, urbanistes, paysagistes et pouvoirs publics. Mais elle nécessitera aussi une implication plus grande des habitants.
La maturité de l’opinion publique quant aux problèmes urbains, écologiques et économiques la pousse à accepter l’arrêt de l’extension urbaine. La stratégie politique proposée repose sur deux principes : la consolidation des réseaux existants et l’intensification des espaces de nature.
S’agissant des réseaux, leur structure sera mieux hiérarchisée. Des branches majeures aptes à attirer vers elles des activités seront définies. Des branches secondaires seront identifiées pour densifier leur maillage et leur taux de connections. Les restructurations de réseaux initiées dans de nombreuses agglomérations depuis plusieurs années permettront un retour d’expérience très utile.
S’agissant de la nature, l’arrêt de l’étalement urbain permettra de conserver et d’améliorer les espaces agricoles et naturels, reconfigurant ainsi progressivement un mode de développement lié à la structure topologique, géologique, agricole et climatique environnante. Les espaces naturels entreront dans l’organisation même des villes en tant qu’infrastructures, et non plus comme simples espaces verts. Ils seront organisés en réseau. Ils s’insèreront aussi bien dans le fonctionnement physique que culturel des agglomérations. Servant de bassin d’infiltration, de poumon à CO2 ou de réserve de faune et de flore, ils seront le support de nombreuses pratiques quotidiennes. On y développera des loisirs, on y installera des équipements publics ou des espaces commerciaux. Ils constitueront ainsi un nouveau lieu commun, un tronçon majeur de l’organisation urbaine.
Dans l’espace construit, il sera désormais possible d’installer son logement dans des endroits nouveaux, en dérégulant l’urbanisme pour former une ville de seconde génération.
Pavillon ancien
Par une sorte de sélection naturelle, certains vieux pavillons, bien entretenus et installés dans des jardins luxuriants ont fini par devenir des « maisons de famille » authentiques avec un certain cachet. Leurs qualités en font une espèce à conserver, apte à porter la mémoire de la ville suburbaine de première génération. Ce n’est pas le cas de l’essentiel des zones pavillonnaires.
Dans le Parc du Projet, la majorité des pavillons, construits à l’économie ou devenus inappropriés dans le marché immobilier, peuvent être détruits, étendus ou éventuellement réhabilités. En effet, les maisons suburbaines ont principalement été achetées neuves par des familles qui les ont construites ou fait construire pour y faire grandir leurs enfants. Elles sont aujourd’hui occupées par des retraités nés après-guerre qui les quittent pour des soucis de santé, de veuvage, etc. L’étirement géographique de ces zones pavillonnaires, le manque de desserte en transports en communs, peu rentables sur des zones aussi distendues, ajoutés à la hausse du coût du carburant font de ces maisons un héritage que la génération suivante ne peut pas assumer et qui sature le marché immobilier.
Pour éviter l’apparition de champs de ruines, une liberté de construction temporaire a été décrétée par de nombreuses villes. Ainsi les règles d’urbanisme peuvent être abolies dans votre secteur pendant un an. Vous pourrez donc construire plus, étendre une construction existante et ainsi mieux rentabiliser votre opération immobilière. Architecturalement, les préconisations locales des règlements d’urbanisme portant sur les matériaux, les couleurs et l’insertion dans le tissu environnant seront également suspendues. Ces règles conduisent en effet à la prolifération d’une architecture de pastiche, au détriment de l’innovation architecturale. Ces dispositions permettront de stopper la reproduction à l’identique de la ville de première génération, prévue et organisée jusque-là par les règlements.
Les communes ont d’autre part négocié avec certaines copropriétés horizontales (cela a été plus aisé avec les copropriétés les plus dégradées) une remise en cause des règlements qui interdisaient les extensions, bannissaient les modifications ou arrêtaient des gammes de matériaux et de couleurs, etc.
Nouveau parc
La limitation de l’extension urbaine a fait augmenter la pression foncière dans certaines situations si bien que de nombreux propriétaires sont intéressés par la vente de parties de leur jardin. Pour l’agglomération cela permet d’augmenter la densité et pour les acquéreurs de trouver des espaces bien situés, de petite taille et à prix abordable. Comme le droit de l’urbanisme est libre pendant un an après achat, cette option est une opportunité très intéressante.
Recyclage
Il va falloir détruire en quantité pour pouvoir ensuite construire plus grand, plus dense, plus intégré. Certaines agglomérations ont décidé de financer une reconquête foncière de territoires sans grand intérêt. Des campagnes de « nettoyage foncier et paysager » sont lancées dans des zones de franges urbaines sur lesquelles la pression foncière était auparavant inexistante. Un vaste chantier de construction, destruction et reconstruction va être engagé.
Les maisons équipements
Pour que la subsistance redevienne une responsabilité commune, une disposition particulière consiste à créer des emplois d’intérêt public en associant une infrastructure collective à un habitat. Certaines maisons pourront être liées à des champs de panneaux solaires, des bassins d’infiltration ou des espaces de compost. Les habitants exploiteront ainsi le territoire qu’ils l’habitent en devenant des agriculteurs technologiques.
L’enjeu majeur concerne la production énergétique. La transition vers les énergies renouvelables devra s’accompagner d’une modification globale de l’organisation de la distribution. Alors que le XXème siècle a développé un modèle vertical et arborescent où l’énergie était produite en grande quantité en un point localisé, puis diffusée jusqu’au bout des réseaux, le nouveau siècle devra multiplier les points de production et mettre en place des échanges multilatéraux. En effet, les énergies renouvelables sont dépendantes des conditions météorologiques. Le soleil brille plus le jour tandis que le vent est plus intense la nuit. Ces aléas seront gérés par des réseaux informatiques intelligents capables d’adapter en permanence la diffusion énergétique selon les besoins et les sources.
Le centre commercial
Retournant la règle classique des documents d’urbanisme en matière de stationnement qui exige généralement une place de parking par logement, les espaces commerciaux devront ménager sur leurs parkings l’espace suffisant pour construire un logement par place de voiture. Les futures habitations pourront ainsi profiter de l’activité quasi urbaine de la galerie commerciale tandis que le parking sera mutualisé : utilisé le jour par les clients du centre commercial et la nuit par les riverains. Le parking sera rempli au maximum de sa capacité comme si c’était tous les jours le pic d’affluence de Noël.
Les ambitions du Parc du Projet
La ville vernaculaire du XXème siècle n’a pas pu être planifiée et dessinée par les urbanistes et les architectes comme ils l’avaient espéré. Dans une société organisée pour satisfaire l’individualisme et l’économie de marché, la ville vernaculaire est difficilement régulable. Elle apparaît hétérogène en surface mais elle est en réalité très fortement ségréguée par des gammes de produits. Les formes de villes régulées étaient celles des pouvoirs politiques forts capables d’imposer des plans généraux. Il faut assumer la perte de pouvoir de l’urbaniste et abandonner l’utopie du progrès généralisé. La modernité s’est réalisée mais sous des formes différentes que celles imaginées par les meilleurs concepteurs. Il s’agit aujourd’hui de continuer le travail engagé en ne cessant d’améliorer la qualité de la ville et en poursuivant l’innovation.
Le suburbain est coincé par une multitude de réglementations qui l’empêche d’évoluer et le force à se reproduire à l’identique selon le modèle de ville à la campagne. Il faut simplifier la réglementation pour lui permettre de poursuivre son histoire et constituer une ville de seconde génération.
Là où l’ensemble construit n’a pas de cohésion, tout repose sur l’architecture et le paysage naturel. La ville suburbaine a le droit à l’ingéniosité architecturale. La nécessité de réinventer l’habité entraînera l’expérimentation, la redistribution des composants de l’architecture aussi bien en termes constructifs que programmatiques. En s’insérant entre des bâtiments existants, il faudra créer des liens pour intensifier les échanges. Le réseau arborescent augmentera son maillage pour diminuer les zones en cul-de-sac. Il améliorera les qualités de la ville suburbaine comme un cerveau qui devient plus intelligent en multipliant ses connections et en privilégiant les axes majeurs pour augmenter la vitesse de circulation des informations tout en diminuant les dépenses énergétiques.
Architecturalement, il s’agira de faire apparaître des structures élémentaires à la fois simples et populaires, aussi performantes que des stations-service, des boîtes en tôle ondulée ou des cabanes en bois. Elles devront cependant être moins génériques et mieux adaptées à leur milieu. Elles ne pourront plus être des formes indépendantes du fond. Elles répondront à des cahiers des charges plus complexes. Cette nouvelle génération de constructions devra être efficace, compacte, fonctionnelle et intégrée au climat.
On revisitera les tableaux du Lorrain dont les scènes ont contribué à façonner l’imaginaire suburbain et à fonder l’icône du pavillon dans la nature. Au delà des signes mis en scène, le véritable sujet du travail du peintre ne se situait en effet pas dans la représentation d’une nature composée et idéalisée, mais bien dans la recherche d’une représentation picturale de l’atmosphère. Il peignait la lumière, la brume, le soleil, les reflets des vagues, le vide rempli d’air et les subtiles variations météorologiques. La lecture simplement bucolique de ses tableaux est à l’image de la logique du moindre effort qui a présidé à l’étalement suburbain. Le rapprochement avec la nature ne s’est finalement fait que par l’image, le paysage et les signes. Le retour à la nature ne peut plus se contenter d’exporter le climat urbain à la campagne, il doit devenir une véritable installation dans son milieu.
Ni posées dans le vide comme sur une table rase, ni alignées autour de l’espace public pour former une agora, les constructions du suburbain de seconde génération devront prendre la mesure de l’entre deux. Les constructions ne seront plus directement extraites d’un catalogue pour être posées sur l’étendue du territoire. Les programmes percuteront le paysage. Un paysage plus épais se constituera.
Posted on 04/06/2013 par Emeric
0