Expérience

Posted on 12/02/2014 par

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Ce texte doit être lu en douceur. Entre chaque paragraphe vous ferez une pause. Votre esprit, détendu, se laissera porter, quelques instants, par les images et les ambiances évoquées.

Vous quittez le tumulte de la foule par une légère ascension et atteignez une plateforme. L’ambiance est calme. La lumière est tamisée.

Il y a quelque chose sur un mur blanc. Une tache formée d’auréoles de couleur concentriques. Le mur a été frotté en rond jusqu’à éroder les couches de peinture  successives. Comme dans un tronc d’arbre coupé, les anneaux vous font remonter dans l’histoire de ces murs.

Un nuage se forme, devant vous, juste là, à quelques mètres au-dessus de votre tête. Il est petit et cotonneux. Il descend lentement, s’étiole et s’évapore doucement.

De la glace tombe. Elle s’accumule et forme un monticule translucide. Il pleut par intermittence. Il y a de l’eau dans l’air. Votre peau et votre nez la perçoivent. Au fond, un homme de pierre est allongé.

Le plafond est une trame dont les carrés s’allument par endroits, dans un mouvement de va-et-vient. Un chien blanc et maigre se ballade. Une danseuse chausse des patins et sillonne une plaque de glace noire. Comme sortie d’une boîte à musique, elle tourne où bon lui semble.

Les lumières clignotent, les nuages s’évaporent, le chien se ballade. Il fait plus sombre au fond de la salle.

Vous ne comprenez pas vraiment où vous êtes. Mais vous êtes à l’aise. Vous laissez se dérouler les événements.

Il fait plus sombre. Un homme déambule avec sur le visage deux plaques de leds lumineuses. Dans un aquarium, se déplacent au ralenti des araignées de mer. A la télé se déroule une célébration dans une nouvelle communauté américaine.

Dans le noir, une musique douce au piano, des lumières de couleur, orange, violet, bleu, vert, dansent légèrement dans de la fumée. On entend les cliquetis d’un vieux projecteur de cinéma dans le coin de la pièce.

Un film est projeté dans le noir. Des silhouettes passent, d’autres sont assises contre le mur. D’étranges scènes s’enchaînent, des sortes de rites de la vie moderne mais il a quelque chose qui cloche, comme une désincarnation. Plus loin, il y a un trou dans le mur où joue un théâtre de marionnettes.

Il s’est passé des choses. Des suites d’expériences dont vous croisez les traces. Rien de grave. Des questions qui n’ont pas besoin de réponses. Les choses sont ainsi mais pourraient être autrement. Tout est calme.

C’est un univers, une atmosphère, dans laquelle vous errez, peuplé d’histoires, de personnages, de lumières, des mouvements, de souvenirs. Vous êtes dans l’œuvre de Pierre Huyghe, comme partie intégrante.

Où est l’art dans tout cela ? Dans la matière présentée ? Dans la notice qui décrit la situation ? Dans l’histoire de la discipline ? Dans votre imaginaire ? Dans l’interaction de ces éléments ?

Plus certainement, l’art se situe dans l’expérience même de l’œuvre, dans sa génération, sa transformation et sa diffusion. Interrogeant toutes les formes de matérialisation de ses actes, l’artiste interroge la capacité de l’expérience même à constituer un matériau d’art ? C’est pourquoi l’architecture, l’espace ou le climat sont si souvent présents dans l’œuvre de Pierre Huyghe car ils participent nécessairement à générer l’atmosphère dans laquelle toute expérience ait lieu.

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Pierre Huyghe, Exposition au Centre Pompidou du 25 septembre 2013 au 6 janvier 2014
Catalogue de l’exposition aux éditions du Centre Pompidou

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