
J’avoue avoir été un peu sceptique suite à la conférence de TVK, à l’Arsenal, quant à leur ambition de grand plan libre pour la place de République. J’avoue également ma perplexité devant la propension des dalles de sol en béton à se couvrir de saleté. Au cours d’un repas, avec quelques amateurs d’urbanisme, j’ai entendu dire, à propos de la place, des trucs du genre : « ils ont pas fait grand chose », « c’est dénudé », « c’est froid »… Pris d’un réflexe d’auto défense pour sauver l’honneur de ma confrérie, j’ai rétorqué : « ils n’ont pas fait grand chose, mais une chose fondamentale quand même : offrir la place au piéton ! »
Pris à mes propres déclarations, je suis passé sur la place il y a quelques jours. Je ne croyais pas avoir si bien dit. Il se passe quelque chose d’exceptionnel place de la République qui n’arrive que rarement dans une grande ville. Un espace public est en train de se constituer. C’est une controverse en actes et en faits. Les usagers, habitants et passants sont en train de dialoguer entre eux et avec la nouvelle place pour en déterminer l’usage. Ce moment sera bref mais crucial. La place est encore libre. Les pratiques ne se sont pas encore stabilisées. Les territoires n’ont pas encore été délimités. Les habitudes ne se sont pas installées.
L’expérience de ce lieu est à faire. A l’approche de la place, vous sentez votre pas changer de rythme. Vous ralentissez devant tous ces habitants qui s’affairent, chacun à leur rythme, se croisent de manière souple et légère. En balayant l’espace du regard, vous notez des gens qui jouent, qui discutent, qui se regardent, qui revendiquent, qui rouillent, qui se montrent, qui filent, qui skatent, qui lisent, bref qui se gavent d’urbanité;
En observant plus attentivement, vous constatez que les passants sont, en fait, en train de faire de véritables expériences d’usage. Ils cherchent comment exploiter les lieux. Tout le potentiel de ce pas grand chose qu’ont fait les architectes se révèle. On peut s’asseoir sur les bordures des arbres, se poser sur les emmarchements, mater depuis les bancs, siroter sous la casquette du bar, ou encore s’installer à même le sol.
Et tout semble tenir grâce à ce presque rien, à cette acte de ne pas en faire de trop mais juste assez. Il n’y a pas d’aménagement spectaculaire qui focaliserait le regard et orienterait le lieu. Le vide n’est pas absolu, ce qui annulerait tous les usages. La générosité de l’espace joue son rôle dans Paris, ville presque trop compacte. L’espace de la place est tellement grand que les pratiques se croisent en toute liberté. Les skateurs ont trouvé leur place, les enfants à roulettes peuvent s’ébattre, les vélos se faufiler, les piétons tracent leur parcours sans s’éviter d’un mouvement d’épaule.
La place était un rond point, elle est donnée aux piétons. Les voitures ont dorénavant une place secondaire et sont clairement canalisées. Les bruits de moteur forment le font sonore de l’activité mais n’empêche pas de se parler. Les habitants de la ville se côtoient en toute simplicité. On voit que se croisent les générations, des habitants venus de différents quartiers.
Il se passe quelque chose sur cette place, en ce moment. Cela ne durera peut-être pas longtemps, alors allez-y vite ! La chose publique est en train de se former, de trouver ses pratiques, ses acteurs. Qui conquerra les lieux, qui l’animera, où s’installeront les jeunes et les plus anciens, les skateurs seront-ils chassés, les jeux dans le plan d’eau continueront-ils, s’y donnera-t-on rendez-vous, les manifestants y seront-ils mieux entendus ? Les négociations sont en cours. Que vont faire les habitants de Paris de la Res Publica ?
Un bon projet disparaît pour laisser place à l’usage. Il permet de se fait permet aux symboles de s’y associer. Il devient une chose publique peut-être… A nous de voir d’ici quelques années.
Anonyme
10/10/2013
entièrement d’accord.
Le projet d’aménagement laissait un peu sceptique sur papier. L’objectif affiché de rendre la place aux piétons semblait dur a atteindre sur ce rond point géant essentiel à la circulation parisienne. L’absence de « geste » ou de mise en scène spectaculaire dont les concepteurs d’espaces publics nous gratifient habituellement semblait renforcé par le caractère hyper minéral de ces dalles bétons.
Et puis il faut bien le dire les commerces disparates et pas toujours attractifs qui longent cette place ne permettaient que difficilement de se projet er dans une ambiance piétonne réussie, puisqu’ aujourdhui on fait systématiquement rimer espace public avec commerces et bar branchés. .
Le succès est pourtant manifeste . il faut donc croire que les parisiens, tous les parisiens, n’attendaient que ce vaste espace libre pour respirer un peu dans ces 10eme et 11eme arrondissements étouffés par les alignements haussmanniens.
les usages s’y créent imprévus et multiples, exploitant toutes les possibilités offertes par les détails techniques de l’aménagement, banc, marches, grilles.. on en oublierait presque les voitures.
Quant aux dalles bétons, elles remplissent leur usage a merveille.. faire que des pieds et des jambes se tiennent dessus.
Mais surtout cette place existe par elle même et pour elle même.. on y vient pour se poser, se retrouver, se dégourdir les jambes. on y vient juste parce qu’elle est là , vaste et accueillante.
autant que les archis, c’est aussi la ville de paris qui faut remercier pour avoir su porter et tenir ces objectifs.
Flora
10/10/2013
Tu as mis le doigt sur un sentiment que j’ai chaque fois que je traverse cette nouvelle place…. une excitation d’être là où quelque chose est en train de se passer, où des manières de partager l’espace sont testées. J’ai jamais vu autant de scènettes différentes à la fois sur une place publique parisienne. Un street dancer expérimentant les potentiels du miroir d’eau, des familles sur des chaises rouges discutant entres elles pendant que les enfants s’éclatent avec les jouets de la place, des ados qui squattent sur les marches, des pas toujours ados qui se régalent de la glisse sur roulettes, un bar kiosque qui déplie une terrasse en plein milieu…. et je savoure la possibilité de tracer mon chemin où je veux au milieu de ça, à vélo où à pied, sur une surface qui fait presque celle de l’ancien jardin des Halles. La générosité ici est de ne pas (trop) prédéterminer les usages…
Sido
10/10/2013
A Paris on en fait souvent trop. On a une mauvaise culture de l’espace public. Dans les ZAC parisiennes on n’ose pas faire un espace trop vide, trop ouvert, on fait des squares ou des parcs. Hors ZAC, Quand on requalifie une place on surqualifie, et on fini par installer le mobilier de catalogue en fonte xixème siècle de la Ville de Paris (ceux qui ont affronté les services de la Ville pour imaginer un nouveau type de mobilier urbain méritent tout mon respect -il y a quand même des fontaines des 3 grâces dans la ZAC Paris Rive Gauche…).
La place de la République est le premier espace digne d’une grande ville de province à Paris. Je pense à Lyon, à Nantes, à Bordeaux, et à d’autres qui ont su créer des espaces publics contemporains et utilisés.
Ca fait du bien.